Tract du SNTRS-CGT : Les feuilles de temps ou le saucissonnage du travail des chercheurs

jeudi 31 mai 2018

Les feuilles de temps ou le saucissonnage du travail des chercheurs

Le calcul des « charges » de personnel de recherche exprimé en personne.mois est symptomatique de la contractualisation de la recherche via les appels à projets. Le chercheur est réduit à une ligne budgétaire soit en ressources (valoriser du personnel existant), soit en dépenses (recruter des CDD sur le projet). C’est un calcul basé sur le découpage – artificiel – de l’activité de recherche. Le chercheur doit pouvoir justifier qu’entre tel et tel mois il aura travaillé 10% de son temps sur le projet X, 15% de son temps sur le projet Y, etc. Peut-il encore inscrire sa mission de recherche dans la durée d’une carrière stable, quand on considère les effets d’un tel « saucissonnage » ? D’autant qu’à l’issue des dits projets, il lui faudra obtenir de nouveaux projets pour légitimer son statut de titulaire, ou financer son emploi de chercheur s’il est précaire. L’unité personne.mois est le corollaire de la mobilité, de la flexibilité, et de l’employabilité, d’une « taylorisation » du travail du chercheur. Se dessine en filigrane la figure du chercheur précaire devenu variable d’ajustement dans le budget des projets de recherche.

Mais calculer le temps de travail des chercheurs relève de la quadrature du cercle : problème que la Commission européenne (CE) lors de la justification financière des projets de recherche voudrait résoudre par des feuilles de temps. Dans la plupart des cas, l’essentiel de l’apport des établissements publics de recherche en fonds propres consiste à comptabiliser l’implication de personnels titulaires ou contractuels investis dans la mise en œuvre du projet. Cette comptabilité nécessite de convertir très précisément le temps passé en coût. Les feuilles de temps consistent donc à faire indiquer scrupuleusement par le chercheur le nombre d’heures passées effectivement à la réalisation du projet, à les faire viser par son responsable hiérarchique, puis par l’agent certificateur de l’établissement.

Certains établissements ont dans le passé pris « à la légère » ces exigences, en fournissant des feuilles de temps mal remplies, surévaluées, ne correspondant pas à l’investissement réel du personnel affecté au projet. En 2008, un électrochoc a secoué le monde de la recherche : l’Europe exigeait près de 70 millions d’euros de redressement au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

La pratique de feuille de temps consiste à anticiper les contrôles lors d’audits de la CE, contrôles qui peuvent se solder par une demande de remboursement ou de pénalités en cas d’irrégularités. Ces irrégularités sont, le plus souvent, le résultat de négligences de gestion ou d’incompréhension liée à la complexité des procédures. Quel volume horaire annuel arrêter ? Comment gérer la question des congés, des arrêts maladie, des primes ? Quel degré de précision fournir ? Quelle périodicité ? Quel circuit de validation mettre en œuvre ? Il faut au minimum 2 à 3 semaines pour finaliser et faire valider la partie financière des contrats par les services des délégations régionales. De plus, la gestion d’une multitude de contrats est une contrainte très forte pour les services administratifs et financiers. Pour de nombreuses unités, cela représente plus d’une centaine d’entités de dépenses à gérer.

En conséquence, les Directions d’organisme de recherche proposent formations et applications de gestion destinées à éviter que se reproduisent les irrégularités. Mais ces dispositifs chronophages et intrusifs sont difficilement acceptés par les chercheurs et leurs équipes, qui y voient le reflet d’une technocratie moins préoccupée de leurs résultats scientifiques que du contrôle de leurs activités. Le ministère, les organismes de recherche et la Conférence des présidents d’université s’évertuent à mettre en place des groupes de travail, qui établissent des procédures, des guides techniques [1] jusqu’à créer des applications informatiques spécifiques.

Le CNRS, de son côté, a mis en place un outil, l’application Tempo, de compte-rendu de l’activité des chercheurs sur des projets européens et internationaux avec une mise en cohérence avec d’autres données enregistrées dans les systèmes d’information du CNRS, par exemple Agate (Application de Gestion des Absences et des Temps).

La conception de Tempo a été externalisée à une société OS Concept. Celle-ci est éditrice de logiciels dédiés à l’automatisation et la dématérialisation des procédures de ressources humaine qui permettent aux entreprises d’enregistrer et d’auditer la gestion des congés, la gestion des notes de frais, la gestion des temps de présence ou encore le suivi d’activités. OS Concept est aussi le concepteur et prestataire d’assistance technique d’Agate. Le logiciel Sinchro, développé à partir de Tempo, est en train d’être déployé dans certaines universités et écoles d’ingénieurs.

La pratique des feuilles de temps comme pratique gestionnaire à visée comptable devient un moyen de traçabilité, voire de contrôle de l’activité quotidienne des chercheurs. Elle instaure un climat de défiance entre les chercheurs Cette planification des activités de recherche témoigne du glissement progressif du fonctionnement de la recherche publique vers des méthodes de gestion issues des entreprises privées.

C’est logique puisqu’il est reproché à la recherche publique d’avoir été trop académique et insuffisamment orientée vers les applications. L’étrangement financier des organismes et la montée permanente des financements sur projets a permis de réorienter le dispositif de recherche. Les méthodes et les codes du privé (Contrats d’objectifs, performance, indicateurs, management, savoir-être, feuille de temps) se sont progressivement imposés transformant la nature du travail scientifique. Le chercheur scientifique est ainsi devenu comme tout salarié du privé un travailleur asservi.

C’est aux chercheurs par leur lutte avec l’ensemble des travailleurs scientifiques de desserrer la contrainte !

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[1Guide pratique à la gestion des contrats relatifs aux activités de recherche direction des affaires financières- MESRI, 2017 Fiches actions- Sécurisation de la gestion des contrats de recherche MESRI 2017


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