Tract du SNTRS-CGT : "Dérégulation à tout va : La tenure track !"
Dérégulation à tout va : La tenure track !
La tenure track que l’on peut traduire par « voie menant à la titularisation » ou « titularisation conditionnelle » a le vent en poupe. Elle est proposée aussi bien par le groupe de travail « attractivité des emplois et des carrières scientifiques » préparant la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, que par le CNRS avec son Contrat d’objectif et de Performance et l’Inserm avec son Plan Stratégique et reprise par E. Macron lors de son intervention le 26 novembre à la cérémonie des 80 ans du CNRS. Elle sera mise en œuvre à l’Inria en 2020 à titre expérimental. Elle est proposée aussi dans les projets d’Idex et d’Isites. Elle est déjà appliquée à Sciences Po depuis 2009 pour les postes relevant de la Fondation nationale des sciences politiques, dans des écoles d’ingénieurs et des écoles de commerce pour leurs propres corps d’enseignants.
Ce système vient des Etats-Unis. Il s’est généralisé aux Pays-Bas, en Finlande, dans des Länder de l’Allemagne et pour certains dispositifs postdoctoraux des établissements britanniques.
Il consiste à choisir sur dossier un nombre réduit de candidats qui seront mis à l’épreuve (tenure track ou encore chaire junior) avant d’accéder à un poste permanent : contrat à durée indéterminée (CDI) ou titularisation sur poste de fonctionnaire comme Professeur des universités ou Directeur de recherche. Les critères et les procédures de sélection des candidats pourront varier selon les établissements, les lauréats échappant ainsi à la concurrence du recrutement classique du concours de la Fonction publique.
La mise à l’épreuve consiste à atteindre les objectifs assignés lors de la signature du contrat de chaire junior (résultats scientifiques, activités pédagogiques, valorisation, responsabilités administratives). Cette mise à l’essai pouvant durer 6 à 8 ans ! Pour rendre plus acceptable cette situation instable, les rémunérations y compris les bonus seront négociés au cas par cas ainsi que les soutiens (montant de l’enveloppe financière, accès aux équipements et logistique, personnels d’appui à la recherche, bourse de doctorant…) accompagnant le projet de recherche.
Par ailleurs, les établissements continueront à recruter d’autres contractuels (contrat à durée déterminée, contrats de mission, …) pour assurer des fonctions d’enseignement et de recherche. L’obtention, plusieurs années de suite de tels CDD n’augmentent ni les chances d’être recruté sur ces chaires junior réservées à une élite de post docs, ni d’accéder à un poste permanent.
Le ministre Claude Allègre avait tenté d’imposer ce système de tenure track en 1999 avec sa loi sur l’Innovation. Mais la mobilisation des personnels de recherche l’en avait empêché. Le gouvernement actuel revient à la charge en contournant les règles actuelles de recrutement dans la recherche et l’enseignement supérieur publics pour les laisser dans les mains des Directions d’établissements territoriaux.
Le CNRS propose que ses tenures tracks débouchent sur un poste de …professeur ou équivalent ! L’Inserm, de son côté, entend étendre les tenures tracks aux ingénieurs de recherche (IR) et propose qu’elles débouchent sur ….un CDI. Bien entendu, ce CDI serait bien mieux rémunéré que les postes des Directeurs de recherche (DR) et des IR titulaires car il faut, tout de même, attirer les cerveaux.
Les tenures tracks sont en parfaite cohérence avec la loi de transformation de la fonction publique dont un des objectifs est justement l’extension massive de toutes les formes de travail précaire. Proposer des rémunérations plus élevées que celles des fonctionnaires de grade équivalent montre bien la finalité de cette politique : en finir avec le statut de fonctionnaire titulaire qui donne des droits et des obligations aux agents, et qui garantit, en principe, l’indépendance du fonctionnaire et sa protection contre toutes formes de pression ou d’intérêt partisan. Casser le statut permettrait aux employeurs publics d’embaucher et d’affecter où il veut, des salariés avec des droits réduits.
Ainsi un recrutement « permanent » démarrerait 9 à 12 ans après la thèse. Nous sommes aux antipodes de la revendication fondamentale des précaires et des titulaires de la recherche : l’embauche sur statut au plus près du diplôme !
Les jeunes scientifiques sont perçus comme une variable d’ajustement devant répondre aux besoins scientifiques ponctuels des Directions d’établissements, ce qui explique l’usage massif des contrats précaires à court terme. Elle permet un « dégraissage » de la masse salariale, en toute liberté et en toute légalité.
Dans un premier temps, il est préconisé l’ouverture d’environ 150 tenures tracks par an. Ce nombre doit être comparé au moins de 450 chargés de recherche recrutés dans les organismes de recherche par an (dont la moitié par le CNRS). Cela traduit-il la volonté de nos Directions d’établissement en accord avec le gouvernement de substituer ces pré-recrutements à ceux de chargés de recherche ou de maitre de conférences ?
D’autant que, compte tenu de la faiblesse de leur budget, les organismes de recherche sont « contraints » de réduire leur masse salariale pour faire fonctionner leurs laboratoires. L’instauration et le développement de la tenure track compte tenu des niveaux de rémunération proposés ne pourra se faire qu’au détriment du recrutement de titulaires.
En d’autres termes, le corps des chargés de recherche est en danger avec l’extension/généralisation des tenures tracks, la question peut se poser pour les personnels techniques, si l’INSERM met ses projets à exécution, à commencer par les ingénieurs de recherche.
Avec cette politique, il n’y a rien d’étonnant à voir les jeunes se détourner de la recherche. Se voir imposer dix, voire quinze années de sacrifices, d’incertitude, de précarité et de pression, avant, peut-être, d’obtenir un poste… Comment avoir une vie hors du travail, construire une famille ? L’emploi sur statut de fonctionnaire rémunéré à hauteur de la qualification et de l’engagement, le recrutement des jeunes scientifiques au plus près de l’obtention du diplôme, voilà le seul avenir possible de la recherche publique !
C’est par leur engagement dans les mobilisations que les personnels de la recherche imposeront une autre politique de l’emploi.
La journée d’action et de grève du 5 décembre en fournit l’occasion en étant le point départ d’un mouvement de lutte qui ne demande qu’à s’amplifier et à converger.