Une analyse proposée par nos camarades Lise Caron et Gilles Mercier ur les Key Labs
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La restructuration de l’ESR n’est pas finie
Antoine Petit, P-DG du CNRS, a annoncé la création de “Keys Labs” lors de la convention des Directeurs de ses unités de recherche, le 12 décembre 2024. Le P-DG du CNRS trouve l’effort de recherche du CNRS trop "dispersé" aussi sans aucune stratégie scientifique si ce n’est une brumeuse référence à la notoriété mondiale des laboratoires, il choisit de soutenir en priorité aussi bien financièrement que par des recrutements 25% des UMR dont le CNRS a la tutelle. Ces key labs accueillant environ la moitié des chercheurs de l’établissement et probablement plus d’ingénieurs et techniciens. Quels laboratoires, quelles disciplines seront concernées ? Il n’est pas difficile de prévoir que ces keylabs seront dans les sites de la vingtaine de futurs grands établissements (GE) universitaires qui se mettent en place. Le 10 décembre 2024 lors d’une journée d’étude consacrée à l’avenir des I-site à l’horizon 2050, Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l’ESR et professeure à l’Université Paris-Saclay, précise l’enjeu politique de ces décisions « L’université est le point commun entre les laboratoires et les organismes comme le CNRS, l’Inrae ou l’Inserm. Elle est donc la mieux placée pour organiser le dialogue entre les acteurs et piloter les stratégies ». Concrètement, Mme Retailleau appelle l’université à « dire aux ONR que, désormais, elle prend la main sur les dialogues de gestion. Ces dialogues doivent avoir lieu régulièrement, par exemple tous les deux ans, pour mieux suivre l’évolution des laboratoires »
Pour Philippe Mauguin, P-DG d’Inrae « Le rôle de chef de file des universités constitue une avancée récente, notamment sur le continuum recherche, innovation et formation dans les territoires. C’est l’université qui donne les impulsions, anime, et regroupe les organismes nationaux de recherche ainsi que les écoles ».
François Germinet, directeur du pôle connaissances du SGPI et nommé au poste de conseiller spécial en charge des sujets transversaux dans le cabinet de Philippe Baptiste ministre de l’ESR précise la cohérence de la LPR.
Sur les 12 Md€ de France 2030 dédiés à l’ESR, « environ 4 Md€ sont dédiés aux organismes nationaux de recherche. Mais quand on dit que ces fonds sont pour les ONR, ils passent en réalité par les unités mixtes de recherche et se dirigent essentiellement vers les universités qui les hébergent ».
« Cela montre bien que nous avons un pilotage basé sur de grandes stratégies et des objectifs définis par l’État. Cela a abouti sous l’impulsion de Sylvie Retailleau aux agences de programmes. ».
« Tout part du terrain, des laboratoires et des universités. C’est pourquoi il est essentiel de continuer à renforcer le rôle de chef de file des universités. Il faut que les financements passent par une vision organisée du territoire. Nous le faisons avec des outils comme les PUI et on peut continuer avec les Satt. » « Concernant les UMR, il faudrait que nous puissions programmer ensemble les recrutements, et c’est là où nous n’avons pas encore réussi. La raison est que personne n’a de visibilité budgétaire. La LPR et les CPER nous ont donné un début de visibilité, mais nous ne savons pas si nous allons la garder »
Ceci est la mise en pratique de la loi de programmation pour la recherche (LPR) qui a pour objectif de pérenniser les Idex et I-site sous le statut de grands établissements (GE). Autonomes, ces établissements pourront déroger au code de l’éducation et aux statuts de la Fonction publique avec une gestion s’apparentant à celle d’entreprises privées. A terme, ces établissements devraient assurer la tutelle des UMR et la gestion des personnels présents sur leur site. Bien sûr, cela se fera par étape d’où le débat actuel sur l’uniformisation des statuts des personnels pour amener à celui du statut unique.
Pourquoi ces restructurations ?
L’idée maîtresse de la LPR est parfaitement décrite dans les annexes de la loi, elle est de soumettre le service public de formation supérieure ainsi que la recherche publique aux besoins en Recherche et Développement (R&D) des entreprises. En donnant le rôle de chef de file territorial de la recherche aux universités, l’Etat renforce leur rôle moteur dans les stratégies régionales de recherche dont elles sont dépendantes pour leurs financements et aussi leurs liens de subordination aux entreprises.
Dans cette même logique, l’autre objectif de la LPR est de vider progressivement les organismes nationaux de recherche (ONR) de leur mission d’opérateur de recherche pour les transférer aux nouveaux établissements universitaires qui se mettent en place. Pour la Direction du CNRS, une première étape consiste à diminuer dès maintenant le soutien à 75% des UMR dont il a la tutelle pour concentrer ses moyens financiers et ses recrutements sur les 25% restants. Que vont devenir les laboratoires et leurs personnels délaissés, déclassés par le CNRS ?
Pour conserver le pilotage national des grands choix stratégiques de recherche dont l’Etat a besoin, l’autre étape consiste à transformer les ONR en agences de programmes thématiques. Ce qui n’est pas sans lever des contradictions et des antagonismes, Chaque ONR a en charge le pilotage national de programmes de recherche, jugés stratégiques par l’État. Le CNRS est ainsi réduit à piloter les programmes concernant « Climat, biodiversité, sociétés durables ». L’inserm devient agence de programmes de recherche en santé. Le CEA pilote deux agences de programmes pour l’énergie et le numérique, l’INRAE pilote l’agence de programme nationale Agriculture et alimentation durables, forêts, et ressources naturelles associées,,,,,
Bien que le besoin d’interdisciplinarité est particulièrement marqué dans l’évolution de la recherche scientifique, nécessitant notamment de très fortes interactions entre biologie, numérique, sciences de l’ingénieur, sciences de l’environnement, sciences humaines et sociales, la création de 7 agences thématiques semblent aller à contre-courant de ces évolutions en cloisonnant les prospectives et les projets sur des thématiques limitées à leur fort impact sociétal.
Quel rôle pour les agences ?
Le système français repose sur un financement de la recherche exclusivement sur appel à projets ce qui permet aux commanditaires (essentiellement l’État, les collectivités territoriales, les grands groupes privés) d’assurer le pilotage de tout projet initié par les chercheurs ainsi que les politiques scientifiques des opérateurs de recherche (ONR comme universités). L’Agence nationale de la recherche (ANR) est le cœur de cette politique scientifique avec des moyens renforcés par la LPR. La mise en place des nouvelles agences de programmes thématiques visent à coordonner le pilotage et à mobiliser la recherche sur de grands objectifs prédéfinis sur le modèle des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Les PEPR visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés ou susceptibles d’être liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale et qui sont considérés comme prioritaires par l’État ou par l’Europe. Ils sont financés à hauteur de 3 Mds€ (Milliards d’euros) pour 10 ans sur les crédits de France 2030. Ils ne figurent donc pas dans les crédits de la MIRES. Les PEPR ont été initiés et élaborés par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI). L’ANR est l’opérateur de France 2030 pour ces programmes. Le CNRS coordonne deux tiers de l’ensemble des PEPR. Les PEPR d’accélération (2 Md€) sont destinés à accélérer des « innovations » déjà engagées avec des produits, services, usages, entreprises et laboratoires bien identifiés. Les PEPR exploratoires (1 Md€) sont conçus pour accompagner et soutenir « l’exploration du potentiel d’une transformation émergente ».
Cette politique éteint toute velléité de recherche fondamentale sur le long terme. Quelles libertés de recherche dans ce contexte ? Comment soumettre un projet original ? Le pilotage bureaucratique loin de simplifier le système, le complexifie.
Conséquences pour les personnels
Les ONR comme les universités sont confrontés à une insuffisante subvention de l’Etat qui les oblige à rechercher des ressources propres auprès des entreprises, des collectivités territoriales. Structurellement, le glissement vieillesse technicité (GVT) ou pour parler plus concrètement notre système de promotion sociale et d’avancement représente, pour les ONR, une dépense annuelle de 30 M€ (millions d’euros) qui, en l’absence de compensation par l’État, grève leurs marges de manœuvre budgétaires. Les mesures de renforcement du pouvoir d’achat des agents publics, annoncées en juin dernier (mesures dites « Guerini ») ont représenté des besoins budgétaires importants, aussi bien pour 2023 que pour 2024. Elles consistent notamment en la revalorisation des bas salaires et du point d’indice de 1,5 % (après celle de 3,5 % intervenue en juillet 2022) et en l’attribution de points d’indice supplémentaires. Si la hausse du point d’indice intervenue en juillet 2022 avait été intégralement compensée pour 2023, le ministère a décidé de ne compenser qu’à hauteur de 50 % ces nouvelles mesures salariales pour 2024 : une enveloppe de 45 M€ a été ouverte pour l’ensemble de la mission recherche et enseignement supérieur (MIRES). Le surcoût pour 2024 a donc été prélevé sur les fonds de roulement des ONR, constitués de 300 M€, hors investissements déjà engagés ou programmés. Cette décision ne peut que susciter des inquiétudes quant au financement des investissements futurs. Si l’on prend l’exemple du CNRS, ces mesures représentent un surcoût de 51,2 M€ pour l’année 2024 – la hausse du point d’indice représentant à elle seule une somme de 32,5 M€. Ainsi, pour le plus important organisme de recherche, plus de 25 M€ ne seront pas compensés en 2024.
On comprend mieux les mesures d’économies du CNRS qui consistent à délaisser 75% de ses UMR. Sont-elles condamnés à perdre leur attractivité et à terme, faute de ressources à disparaître ou à se fondre dans les établissements universitaires avec leur patrimoine scientifique et technique ?
Appel à résister au démembrement du CNRS, lutter est la seule alternative
La France se laisse distancer par de nombreux États du G7. En 2022, on estime que l’effort de recherche a diminué en France, passant de 2,22 % en 2021 à 2,18 % en 2022. L’atteinte de 1 % du PIB de dépense intérieure publique en R&D d’ici 2030, pourtant un objectif fixé par la LPR, est inatteignable. Oui la recherche a besoin d’un soutien pérenne de l’État à la hauteur des besoins des laboratoires et l’austérité n’est pas une fatalité, c’est un choix politique. Les lois ne sont pas immuables.
La LPR intensifie la compétition entre unités, disciplines et collègues au mépris des aspirations des travailleurs de la recherche scientifique. Elle instaure des universités à deux vitesses. Les futurs GE proposent des formations doctorales adossées à des projets de recherche fortement soutenue par la puissance publique et les grandes entreprises. Les autres universités proposent l’essentiel de leurs formations axées sur l’acquisition de compétences professionnelles limitées aux exigences des entreprises locales. Dans ce contexte, le tri des laboratoires s’impose avec des “Keys Labs” tournés exclusivement sur le maintien du “label clé”.